Les vieux amants

Quelques jours déjà que je me torture, prise entre l’envie de vous livrer ce texte et le respect que je dois, par pudeur, à leur intimité.

Cependant, je ne peux m’empêcher de partager cet instant suspendu, de ceux qui vous restent en mémoire et dont vous savez, au moment même où vous les vivez, que c’est une photographie mentale que vous êtes en train de faire, qui résumera des années en quelques secondes.

Ils étaient mineurs au premier regard. A leurs dires, ils ont su tout de suite. Une évidence comme parfois on peut en vivre. Ils savaient « que c’était lui, que c’était elle », comme disait Montaigne.

Inexplicable attirance de deux êtres en apparence si différents, mais qui se sont trouvés.

Ils étaient jeunes dans une France encore soumise à une autorisation parentale pour se dire oui. Et ils l’ont fait. Elle avait 17 ans et lui 20 ans. Il allait partir sous les drapeaux, elle rester seule avec un bébé. Qu’importait. Ils ont voulu.

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Oh, bien sûr, les années passent avec, comme tout à chacun, son lot de pleurs, de disputes tout autant que de joies. Enfant, j’ai connu parfois des orages. Mais ils ont tenu bon. Ils ont toujours relevé la tête.

Si différents, disais-je. Elle, calme et tranquille. Lui, vociférant pour un oui, pour un non. Elle, aimante. Lui, distant même s’il guettait du coin de l’œil.

Elle, attentive, tandis que, sur lui, semblait glisser la vie et les sentiments.

J’ai connu quelques cris, quelques pleurs. J’ai connu de l’amour aussi. J’ai entendu des mots pour soigner les maux. En résumé : la vie d’un couple qui traverse les décennies.

Il m’est arrivé de me dire que c’était pesant ces hauts et ces bas. Parfois d’avoir envie de ne plus les entendre. Parfois, d’avoir envie de les voir plus.

A chaque âge, un ressenti. A chaque enfant, sa vision.

J’ai aujourd’hui 40 ans. L’âge qu’avait mon père lorsqu’il m’a eu.

Un peu comme un sentiment bizarre de voir avec des yeux différents la vie aujourd’hui. Les erreurs n’ont plus le même goût, ni l’odeur nauséabonde du jugement catégorique. Aujourd’hui, je regarde mes propres erreurs et pardonnent celles des autres avec plus d’humanité.

Ils étaient jeunes, ont connu la passion des premières semaines. Parfois difficile à imaginer pour un enfant que ses parents se sont aimés, mais la réalité est telle. Ils ont été un couple avant que d’être parents. Ils ont connu les tourments de la vie, les questionnements. Comme tous les couples.

Ils ont connu les « je t’aime », les « la porte est grande ouverte si tu le veux », les « s’il te plaît, reste… ».

Enfin, j’imagine aisément tout cela… Phrases de deux personnes qui s’aiment et perdent parfois pieds.

Les années ont passé depuis ce fameux « oui ». Je les ai vus vieillir, devenir grands-parents. Je les ai vus changer. Embrasser mes propres enfants.

10 ans déjà....

10 ans déjà….

J’ai 40 ans et mon père en a eu 80. Leurs regards changent tant. Leurs mots aussi. L’avenir a le goût du passé. A repenser sans doute à leurs jeunes années. Peut-être ont-ils des regrets ? Peut-être pas. Des remords ? Ils ne les diront pas.

J’étais chez eux il y a quelques jours et une image me poursuit depuis lors.

Ma maman, fatiguée, ayant des difficultés à marcher, elle n’a voulu que lui pour lui tenir la main et aller dormir. Non pas que je ne souhaitais pas l’y aider, mais elle le voulait, lui. Son bâton de vieillesse.

Alors il s’est levé, péniblement, fatigué lui aussi par ces années qui pèsent lourdement sur le corps. Il lui a pris les mains, l’a regardée en lui disant : « Vas-y, doucement, je te tiens ».

Sur quelques mètres du salon à la chambre, j’ai vu mes parents. Non, j’ai vu le couple que sont mes parents. Et Dieu que c’était beau…

"L'Amour, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction." (St Exupéry)

« L’Amour, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. » (Saint-Exupéry)

60 ans d’Amour, de joies, de constructions, de peines, de sacrifices. Tout ça sur un regard échangé et quelques mètres parcourus, mains dans les mains.

Cette image ne me quitte plus. Une leçon de vie. Une leçon d’Amour. Le grand A, celui dont on parle souvent. Celui à la vie, à la mort, contre vents et marées. Envers et contre tout et tous.

Un exemple. Voilà ce que je veux être à 80 ans, si l’on me porte vie. Je veux ce regard et cette main qui me porte.

Ils m’ont tout donné, m’ont élevé en se saignant aux quatre veines. Ils ont fait de moi ce que je suis en me protégeant juste ce qu’il faut de la vie pour que je ne m’écorche pas trop les genoux en tombant tout de même.

Je les aime. Du haut de mes quarante années, je leur écris cette déclaration d’amour d’une fille à ses parents. Amour qui n’est que peu de choses par rapport à tout ce que j’ai reçu et à celui que j’ai vu dans leurs yeux.

On dit souvent que l’on choisit ses amis, mais pas sa famille. Beaucoup de gens décrient leurs parents, leur donnent la responsabilité de maux intérieurs. D’autres disent qu’ils ne veulent pas donner la même éducation que celle qu’ils ont reçu eux-mêmes.

Moi, je suis heureuse d’affirmer que si j’avais à choisir des parents, je les choisirais, eux.

Sans hésitation.

Malgré les hauts et les bas. Contre vents et marées. Envers et contre tout et tous….

Signature Miss Plume

Publié le 2 juin 2016, dans A la Une de Femme Actuelle - Hellocoton, Les bonheurs, et tagué , , , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. 15 Commentaires.

  1. Belle histoire… et beau message d’amour 🙂 ♥

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  2. Magnifique! Quelle vie! Quelle belle déclaration aussi!
    J’aime regarder les couples vieillir l’un à côté de l’autre, les regarder se regarder presque comme au premier jour.

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  3. C’est magnifique, bouleversante. Leur amour, tout comme ta déclaration, dans toutes leurs forces et leurs fragilités. Merci de partager leur histoire, qui est un peu de ton histoire, avec nous.

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  4. Magnifique ! Ils ont aussi la chance d avoir une fille sensible et intelligente…

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  5. J’en ai les larmes aux yeux. C’est beau et émouvant merci !

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  6. C’est très beau ce que tu dis ! Et finalement si rare de lire ce genre de déclaration sur ses parents : il semble presque plus facile de les accuser de tous nos maux, dénigrer l’éducation qu’ils ont donnée que de dire qu’ils ont été de bons parents et un exemple …

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  7. Je suis dubitatif … Tu as écrit ce texte pour concourir au prix « alzheimer » ou au prix de l’humour ? Si ce n’est ni l’un ni l’autre alors je m’inquiete …

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